Que faire face à la tyrannie des réseaux sociaux ?

L’usage renforcé des réseaux sociaux, à titre personnel ou professionnel, et la violence qui s’y rattache trop souvent sous de multiples formes, constituent de nouveaux risques psychosociaux. S’exposer sur le web, c’est donc s’exposer à des risques qu’il faut connaitre et dont il faut savoir se prémunir. Comment éviter le pire pour ne garder que le meilleur ?

Il existe plusieurs façons d’utiliser les réseaux sociaux. Il est possible d’en être seulement observateur ou d’en être acteur. Il est alors possible de s’en servir à des fins politiques, d’y prendre des positions partisanes, ou simplement de partager des connaissances ou des passions. Les premiers cherchent à promouvoir ou tester des idées, éventuellement à susciter le débat, avec des réactions d’approbation ou de désapprobation. C’est ce qui arrivera en fonction de la qualité des réflexions, et du niveau de propagande ou de provocation politique utilisé ou perçu. Les seconds sont dans une démarche moins clivante, plutôt à la recherche d’un dialogue avec une communauté d’intérêts ou d’initiés dans un domaine.

Toutefois, dans les deux cas, les auteurs ont en commun de prendre un risque, celui de s’exposer. Sans en avoir toujours bien conscience, jusqu’au jour où les échanges se font moins bienveillants, la contradiction plus agressive ou injurieuse, les propos violents… Chacun peut alors se retrouver la cible d’un tribunal populaire, sans autres règles que la force de l’invective et des commentaires défoulatoires qui peuvent l’emporter sur la raison, la courtoisie, et parfois même la loi.

On réalise alors que pour certains, la contradiction est un sport ; qu’avec eux, toute idée ou action est sujette à controverse, à polémique, à rivalité ; que surgissent facilement des ennemis qui ne connaissent pas plus notre parcours ou nos valeurs que nos réalisations ; et que ces gens peuvent déverser sur nous une haine effrayante, parfois doublée d’un harcèlement ciblé, avec des propos d’une violence inouïe, sans nécessairement se cacher derrière l’anonymat, faisant de nous une cible dans une foire où on acclame celui qui cogne le plus fort.

Erreur fondamentale d’attribution et auto-complaisance

Il semble difficile de catégoriser ces agissements, pas toujours motivés ou calculés. Il n’est pas forcément question d’activistes ou de militants très engagés, mais parfoisde personnes hystérisées, seules devant leur écran, parfois déconnectées des sujets qui ne les concernent même pas. Il peut s’agir de jalousie du succès ou de la visibilité d’une personne, de la qualité de ses propos ou de ses réalisations. Il peut aussi s’agir de l’association de deux biais cognitifs : l’erreur fondamentale d’attribution (juger sans savoir) et l’auto-complaisance (moi j’ai le droit), qui semblent autoriser certains à donner des leçons ou à se transformer en justiciers du web, à la fois policiers et procureurs. Il peut enfin s’agir de faiblesse d’esprit ou de manque de réflexion.

Comme le disait le psychiatre Carl Gustav Jung, « réfléchir c’est difficile, c’est pourquoi la plupart des gens jugent ». Dans tous les cas, il s’agit d’interventions, voire d’ingérences, dans les affaires des autres, sans nécessairement être concerné, sans connaissances, compétences ou légitimité pour s’exprimer sur un sujet, et encore moins sur une personne !

Il est donc nécessaire de rappeler des évidences : si chacun a bien le droit d’émettre des avis, dans le respect et les limites de la légalité, chacun a également le droit de ne pas vouloir en prendre connaissance ou y répondre. Il est donc indispensable de prendre conscience de cette liberté dont on ne saurait être privé, afin de pouvoir se soustraire à l’aspect parfois très négatif et potentiellement dangereux des réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux ne sont pas des espaces qui nous obligent à subir ce que d’autres voudraient nous imposer. Nul n’est donc contraint à devoir échanger avec un autre s’il ne le souhaite pas.

Autant on peut attendre d’un élu qu’il rende des comptes à ses électeurs et peut-être qu’il soit amené à s’expliquer sur son action, sans que cela ne puisse justifier la violence, autant un simple citoyen n’a pas de compte à rendre à celles et ceux qui seraient tentés d’en exiger de lui.

Nous serions complices de la tyrannie des réseaux sociaux si nous en légitimions les travers, en nous y soumettant malgré nous, en alimentant les propos faciles, malveillants, en reprochant aux autres leur manque d’exemplarité, d’engagement, de courage, quand nous pourrions en manquer nous-même, en commentateurs, confortablement abrités derrière l’écran d’un smartphone.

Pas d’obligation à subir à se soumettre, encore moins à souffrir

À celui ou celle qui se sent agressé, perturbé sur les réseaux sociaux, il n’y a donc pas d’obligation à subir, à se soumettre, encore moins à souffrir.

Il n’est pas obligatoire d’ouvrir sa communauté à des inconnus. Il n’est pas obligatoire d’en maintenir l’accès à des personnes nuisibles, ni de suivre des comptes qui ne nous conviennent pas. Enfin, il est autorisé et même recommandé d’avoir recours à la fonction « bloquer » pour ne plus être en lien avec des personnes qui ne nous respectent pas, polluent notre compte, nous perturbent…

Il n’y a aucune culpabilité à avoir. Ce n’est jamais la victime de violence qui doit se sentir coupable, mais la personne violente. Nous n’avons pas, et même jamais, à nous justifier !

Sur les réseaux sociaux, chacun reste donc libre de créer et entretenir la communauté qu’il souhaite. Chacun doit veiller à sa santé et prévenir les risques psychosociaux, limiter son exposition, sélectionner ses contacts, afin de ne pas s’installer durablement dans un environnement virtuel dont les bienfaits peuvent être aussi importants que les méfaits redoutables !

Harcèlement, intimidation, dénonciation

Autre danger des réseaux sociaux : la cancel culture. Ce n’est pas une pratique nouvelle, mais elle a été largement amplifiée par les réseaux sociaux, qui lui ont donné une nouvelle dimension. Il s’agit de boycotts où la violence est légitimée au nom d’une justice sociale en faveur d’un monde meilleur. Son objectif est de tenter d’interdire le débat. Son principe est d’imposer des idées, en faisant pression sur les personnes ou les organisations pour leur dicter une façon de penser, voire d’agir. C’est la pratique de groupes de pressions qui utilisent le harcèlement, l’intimidation, la dénonciation publique pour affaiblir, voire détruire et donc éliminer, celui ou celle qui ne porterait pas la bonne voix ou la bonne pratique.

Ces pratiques de menace, d’humiliation, de désinformation sont bien évidemment contraires à nos lois et à notre culture de liberté. C’est pourquoi nous devons rejeter catégoriquement, fermement, définitivement ces dangereuses dérives. Nous devons aussi les dénoncer, les décrypter, les expliquer, pour les rendre visibles de toutes et tous, et compréhensibles pour le plus grand nombre. Mais une partie du succès de ce harcèlement en ligne vient du silence observé, comme souvent, par beaucoup de victimes qui en arrivent à penser qu’évoquer ce type de situation serait honteux ou la preuve d’une faiblesse. Pourtant, la honte ne doit jamais être portées par les victimes. Elle doit toujours être renvoyée sur les agresseurs, quels qu’ils soient !

Veiller à ne jamais être des complices passifs

Nous pouvons aussi parfois être facilement, volontairement ou involontairement, les complices de la cancel culture ; une complicité passive, en laissant faire quand il faudrait réagir, en se taisant au lieu de dénoncer, en préférant se cacher plutôt que s’exposer, par manque de réactivité, par lâcheté ou simplement pour éviter les nombreux coups à prendre ; complice par opportunité immédiate et facile, pour régler des comptes, se faire justice soi-même… Cela peut se traduire par la simple publication d’un avis négatif, subjectif, en réaction immédiate à une situation, une émotion, une déception… pouvant donner à celui-ci un écho disproportionné par rapport aux faits, risquant de créer des dommages personnels, professionnels, économiques, hors proportion, durables, injustes…

N’oublions jamais que si chacun est responsable de son exposition sur le web, chacun est aussi responsable de ce qu’il accepte de supporter ou pas. Face à l’inacceptable, chacun est aussi responsable d’ouvrir ou fermer les yeux, de parler ou de se taire. Cela n’a rien d’évident ni de facile, surtout dans un climat souvent violent, face à des adversaires parfois anonymes, aux intentions pas toujours claires, aux moyens ou soutiens parfois insoupçonnés. Quoi qu’il en soit, il faut être conscient des méthodes et pratiques dont on peut être victime, les refuser, les dénoncer et surtout les expliquer. Cette communication ne permettra pas d’éviter le mal, mais de l’affronter et d’en réduire les impacts négatifs, en premier lieu sur nous.

A lire chez Bréal, « Un DirCom n’est pas un démocrate » : FNAC ou Amazon.

 

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Frédéric Fougerat
Président de Tenkan Paris – Cofondateur de Cogiteurs , Tenkan Paris
Frédéric Fougerat (@fredfougerat pour les tweetos) est président de Tenkan Paris, agence conseil en communication de crise, image et réputation de personnalités sensibles, et cofondateur-associé de Cogiteurs, agence conseil en communication corporate, collectif de DirComs au service des DirComs.

Il a dirigé la communication de collectivités publiques durant 15 ans, et la communication de grands groupes internationaux pendant 20 ans (SBF 120, LBO…).

Le magazine Forbes l’a classé en 2021, n°1 de son top 100 des décideurs les plus influents de la communication en France. Frédéric Fougerat est officier de l’ordre national du Mérite, chevalier du Mérite agricole, et chevalier des Arts et des Lettres.

Il est l’auteur de livres sur le management «Un manager au cœur de l’entreprise» et «Le Goût des autres, mes recettes de manager», et sur la communication «Un DirCom n’est pas un démocrate», «La Com est un métier», et «Le dico de la Com» aux éditions Bréal Studyrama.
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